Un an après la mort de Wissam El Yamni, une enquête à reculons
source et suite de l'article www.mediapart.fr par : LOUISE FESSARD
Comme un mauvais scénario qui se répète. Celui d'une justice excessivement lente et prudente dans les cas de violences policières. À Clermont-Ferrand, l'enquête sur la mort de Wissam El Yamni
piétine. Interpellé dans la nuit du 1er janvier 2012, Wissam El Yamni, un
chauffeur-routier de 30 ans, était resté dans le coma neuf jours avant de décéder à l’hôpital. Plus d’un an après l’ouverture d’une information judiciaire pour « violences
volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner par personne dépositaire de l’autorité publique » (un crime passible des assises), les conditions de sa mort demeurent
mystérieuses.
Malgré un réquisitoire introductif qui visait nommément deux policiers de la brigade canine de Clermont-Ferrand, aucun n’a été mis en examen ni même entendu par les juges d’instruction en charge
du dossier. La première juge d’instruction ayant quitté ses fonctions fin décembre 2012, un autre juge, Jean-Christophe Riboulet, a dû être désigné, ce qui a encore ralenti l’enquête. Le dossier
semble suspendu dans l'attente des résultats d'une contre-autopsie, réalisée en juin 2012 à la demande de la famille de Wissam El Yamni. « Un dossier criminel où il y a mort
d’homme qui va aussi lentement, ce n’est pas normal », estime l'un de leurs avocats, Me Jean-Louis Canis.
Le pré-rapport d’autopsie avait d’abord pointé une possible mort par
compression de la carotide, l’un des policiers ayant affirmé avoir maintenu le jeune homme « plié », la tête entre les genoux, pendant le transport vers le
commissariat (3 à 5 minutes). Selon le médecin légiste, cette technique d’immobilisation, interdite par une circulaire du 17 juin 2003, associée à des excroissances osseuses constatées au niveau
de la machoire, aurait plongé Wissam El Yamni dans le coma, faute d’irrigation de son cerveau.
Mais une expertise complémentaire réalisée depuis exclut cette hypothèse. Elle exonère les policiers en concluant à un probable malaise cardiaque causé par une prise de cocaïne associée à un
contexte de stress. Dans cette hypothèse, « le décès s’explique sans intervention d’un tiers, note le médecin légiste. L’interpellation a toutefois pu favoriser
ou précipiter la survenue du trouble cardiaque en tant que facteur de stress physiologique. »
« En gros, c’est la faute à pas de chance », ironise Me Jean-Louis Borie, l’avocat de la femme de Wissam
El Yamni. Selon un rapport de toxicologie, le jeune chauffeur-routier « était encore sous l’influence psychotrope de la
molécule (cocaïne – ndlr) au moment du prélèvement et (…) dans un passé très récent ». Les avocats de la famille
contestent cette analyse. Pour eux, Wissam El Yamni était certes fortement alcoolisé au moment de son interpellation, mais n’était plus sous l’emprise d’autres stupéfiants.
« En fait, on retrouve principalement dans son sang des résidus non actifs de THC et de cocaïne correspondant à une consommation ancienne, les principes actifs étant eux
insignifiants », explique Me Borie. Les taux de cannabis (0,5ng/ml) et de
cocaïne (4ng/ml) relevés lors de l’analyse toxicologique sont en effet très en deçà des seuils minimaux de détection utilisés pour le dépistage routier. Ces
seuils règlementaires sont de 1ng/ml pour le THC et de 50ng/ml pour la cocaïne.
« Ce qui signifie qu’en dessous la personne n’est plus sous influence significative, interprète Me Jean-Louis Borie. La thèse d’un arrêt
cardiaque causé par la prise de stupéfiants ne tient pas. » La famille attend toujours les résultats de la contre-autopsie, réalisée à leur demande en juin 2012.
Ce soir là, les policiers, intervenus vers 3 h 20 au quartier La Gauthière à Clermont-Ferrand, avaient été accueillis par des jets de pierres. Coursé, Wissam El Yamni
avait très rapidement été rattrapé par deux policiers de la brigade canine. À son arrivée au commissariat, le jeune homme, « les jambes pendantes » et
pesant« de tout son poids » selon l’un des policiers, avait été déposé dans un couloir, menotté et le pantalon baissé.
« Vraisemblablement, il était déjà dans le coma à la sortie de la voiture, ce n’est pas au commissariat qu’ils auraient dû l’emmener, mais directement à l’hôpital, tout proche », estime MeJean-Louis Borie. Mais les policiers n’ont rien voulu voir : Wissam El Yamni faisait « semblant de dormir », justifiera l’un d’eux, interrogé par l’IGPN.