Sarkozy, Woerth, fraude fiscale: les secrets volés de l'affaire Bettencourt
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16 Juin 2010 Par
Liliane Bettencourt. La fille unique de la milliardaire, convaincue que sa mère est dépouillée de ses biens depuis plusieurs années, a transmis à la brigade financière, jeudi 10 juin, des enregistrements pirates de conversations entre l'héritière de L'Oréal et ses principaux conseillers. Ces documents audio, dont Mediapart a pris connaissance, révèlent les fragilités d'une vieille femme de 87 ans, mais aussi diverses opérations financières destinées à échapper au fisc, des relations avec le ministre Eric Woerth et son épouse, ainsi que les immixtions de l'Elysée dans la procédure judiciaire.
Les révélations contenues dans ces enregistrements clandestins sont susceptibles de perturber le procès, prévu du 1er au 6 juillet à Nanterre, du photographe François-Marie Banier. Ce dernier, à en croire Françoise Bettencourt, la fille de Liliane Bettencourt, se serait rendu coupable du délit d'«abus de faiblesse». Ce que les avocats de sa mère tout comme l'intéressé contestent formellement. Le montant des dons accordés à l'artiste par Liliane Bettencourt (dont la fortune, l'une des premières au monde, est estimée à 22 milliards de dollars) s'élève selon Françoise Bettencourt à 1 milliard d'euros, entre 2002 et 2009.
Dans son enquête, diligentée en 2007, la brigade financière avait évalué les sommes à 630 millions d'euros, sur la période allant de 1997 à 2007. Mais le procureur de Nanterre, Philippe Courroye, a décidé en septembre 2009 de classer sans suite l'enquête préliminaire, estimant qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments pour caractériser l'infraction et que la fille de la milliardaire n'était pas fondée à agir (seule la victime d'un «abus de faiblesse», en l'occurrence Liliane Bettencourt, le serait).
C'est précisément cette enquête, initiée à la suite d'une plainte de Françoise Bettencourt, qui est à l'origine des révélations qui interviennent aujourd'hui. En effet, mécontents des témoignages – dont ils ont apparemment eu connaissance en détail – devant la police de certains de ses employés de maison, les conseillers de Liliane Bettencourt l'ont convaincue de se séparer de plusieurs d'entre eux.
Pendant un an, à partir du mois de mai 2009 et jusqu'à son départ en mai 2010, l'un des employés de maison, le maître d'hôtel, furieux du sort réservé à certains de ses collègues, a décidé de piéger la milliardaire et son entourage en dissimulant un dictaphone dans la salle de l'hôtel particulier de Neuilly-sur-Seine où Mme Bettencourt a l'habitude de tenir ses réunions d'affaires. Un procédé parfaitement déloyal, les participants à ces réunions informelles n'ayant bien évidemment jamais été informés qu'ils étaient enregistrés.
Après son départ, l'employé a choisi de livrer ce précieux matériau – vingt et une heures d'enregistrement réunies sur six CD – à Françoise Bettencourt. Cette dernière, après avoir fait expertiser et transcrire les CD par un huissier de justice, les a remis à la police judiciaire la semaine dernière.
Sollicité par Mediapart, l'avocat de Françoise Bettencourt, Me Olivier Metzner, a confirmé les faits: «Ma cliente, à qui un ancien employé de Liliane Bettencourt a remis des enregistrements susceptibles d'intéresser la justice, a transmis le tout à la police.» S'il s'est refusé à commenter leur contenu, Me Metzner a assuré qu'«en aucun cas Françoise Bettencourt n'a payé l'employé de maison, qui les lui a remis spontanément et sans la moindre contrepartie».
Informé de ces derniers développements par les policiers vendredi, le parquet de Nanterre a ouvert une enquête préliminaire pour «atteinte à la vie privée», confiée à la brigade financière et à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Pour l'heure, les deux services ne sont pas chargés d'enquêter sur le contenu des bandes mais sur les conditions de leur enregistrement et de leur diffusion.
Au-delà du procédé moralement – sinon pénalement – condamnable, ce que révèlent ces documents audio est édifiant, voire stupéfiant. Après avoir pris connaissance de la totalité des enregistrements, Mediapart a donc décidé d'en publier les extraits les plus significatifs parce que porteurs d'informations d'intérêt général. Toutes les allusions à la vie privée et à l'intimité des personnes ont bien entendu été exclues. Figurent dans ces verbatims les seuls passages présentant un enjeu public: le respect de la loi fiscale, l'indépendance de la justice, le rôle du pouvoir exécutif, la déontologie des fonctions publiques, l'actionnariat d'une entreprise française mondialement connue.
Ce qui est ici dévoilé relève de scènes que l'on croirait tirées d'une pièce de théâtre qui emprunterait à tous les genres: de la tragédie au vaudeville, entreHuis clos et Volpone. Une pièce que l'on pourrait diviser en quatre actes, dont il convient de présenter les principaux acteurs. Tous gravitent dans l'environnement proche de Liliane Bettencourt, à qui ils rendent visite régulièrement.