Mise au point du Procureur Général près la Cour de Cassation
extrait du discours
Audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation
Discours de M. Jean-Louis NADAL
Procureur général près la Cour de cassation
Paris, le 7 janvier 2011
"De tous temps la justice a été brocardée. Et aujourd’hui, à un magistrat qui ne supporterait pas la critique, je serais plutôt tenté de conseiller de changer de métier. Et s’il fallait encore se convaincre que le fait n’est pas nouveau, il conviendrait de se reporter au discours prononcé ici même en janvier 1979 par le regretté Premier président Pierre Bellet qui s’exprimait en des termes encore
aujourd’hui d’une cruelle actualité : « la justice est de plus en plus contestée, alors qu’on lui demande de plus en plus. Elle est discutée sur tous les points. Les récriminations portent essentiellement sur le coût de la justice et sa lenteur mais aussi sur sa raideur, son inefficacité, son manque de clarté, que sais-je encore ? Elle serait trop sévère et trop laxiste à la fois »."
«Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l'opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l'altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l'institution et, en définitive, blesse la République.»
«La délinquance appelle la répression, c'est entendu et le mot ne doit pas faire peur, mais où sont les repères quand celui qui rappelle que l'accusé a des droits encourt le reproche d'avoir choisi le camp des assassins contre les victimes ? Où sont-ils ces repères quand est niée la présomption d'innocence, principe pourtant fondateur de tout dispositif pénal, au même titre que la légalité des délits et des peines ou la non-rétroactivité de la loi pénale ?»
«Mais au nom de quoi, par quelles dérives, certains de ses représentants se permettent-ils alors d'en appeler à l'opinion contre ces mêmes magistrats quand ils prennent une décision qui leur déplaît ? Et le scandale n'est-il pas encore plus grand quand ces protestations politico-corporatistes sont relayées au plus haut niveau, au mépris du fondamental principe de séparation des pouvoirs? Prenons garde, prenons garde à l'instrumentalisation de la justice!»
"Mesdames et Messieurs,
il est aussi d’autres formes moins visibles, mais sans doute plus pernicieuses, d’atteintes à l’indépendance de la justice sur lesquelles je ne vais pas aujourd’hui, longuement disserter :
c’est ici que le problème des moyens fait intrusion. En effet, je crois que se justifie, pour la garantie de cette indépendance, que la gestion budgétaire des juridictions et des ministères publics qui les composent soit autonome et distinct du budget du ministère de la Justice.
Mesdames, Messieurs, il est temps de conclure.
Alors, soyons clairs : le seul regard sur l’avenir de notre justice qui forcerait respect dans notre démocratie, c’est de préparer l’avènement de ce fameux pouvoir judiciaire dont je viens de tracer, en réalité, les traits. C’est à ce prix que les mots mêmes des pères fondateurs de notre République retrouveraient sens. Michel Debré n’a-t-il pas écrit que:
“la valeur de la justice et le respect dont ses décisions sont entourées attestent du degré de civilisation qu’un peuple a atteint » ?
Oui à une réelle séparation des pouvoirs, oui à l’avènement d’un pouvoir judiciaire dont la contrepartie sera naturellement une responsabilité accrue des acteurs directement en charge de l’oeuvre de justice dans tous ses aspects ainsi que le permet déjà la réforme constitutionnelle.
Car c’est bien sur ce socle d’un authentique pouvoir judiciaire que le bien le plus précieux de la justice dans la République, je veux dire l’indépendance, sera, selon l’expression de l’un de mes plus illustres prédécesseurs, André Dupin, “quelque chose de plus que la liberté” la “liberté perfectionnée”.
Car “Etre indépendant, c’est savoir défendre son opinion, sa croyance et ses actes contre les attaques du dehors, contre tous ceux qui, sans en avoir le droit, font effort sur notre volonté pour nous imposer la leur ; en un mot, c’est savoir être soi, dans la pureté de sa conscience et de sa conviction (...)”."