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Publié par christian guittard

source et suite de l'article www.mediapart.fr par :  MATHIEU MAGNAUDEIX

L’obsession allemande de Nicolas Sarkozy est née vers le printemps 2009. Auparavant, le chef de l’Etat n’en parlait guère. Mais avec la crise, la référence à l’Allemagne, première économie d’Europe dont les performances macro-économiques sont en effet enviables (à commencer par son excédent commercial), est devenue obsessionnelle.

 

© Reuters
Dimanche dernier, le chef de l’Etat a prononcé le mot « Allemagne » à de multiples reprises. « Il ne s’agit pas de tout faire comme les Allemands (…) mais c’est quand même le meilleur exemple économique d’Europe »affirmait le chef de l’Etat en novembre 2010 lors d’un entretien à l’Elysée. Comme le montre un examen des discours et interventions télévisées du chef de l’Etat durant son quinquennat réalisé par Mediapart, Nicolas Sarkozy a bien souvent justifié ses choix en affirmant que l’Allemagne avait fait la même chose auparavant. Et bien souvent, c’était faux, ou au minimum imprécis.

 

Pendant ces cinq années, inlassablement, Nicolas Sarkozy a raconté une fable allemande. Un conte de fées économique. Il a inventé des statistiques, multiplié raccourcis et omissions, attribué par erreur des mesures à l’ancien chancelier social-démocrate Gerhard Schröder pour mieux tancer les socialistes français, invoqué à tout bout de champ « Madame Merkel » pour justifier ses réformes. A contrario, le chef de l’Etat n’a pas hésité à taper sur l’Allemagne quand la comparaison le servait politiquement – pour noter l’atonie démographique allemande ou critiquer le choix de renoncer au nucléaire.

Bouclier fiscal, impôts, coût du travail, retraites… : voici comment Nicolas Sarkozy a tenté de vendre aux Français un «modèle» pas si exemplaire.

Le faux bouclier fiscal

Ce mensonge-là a duré un an et demi. Nicolas Sarkozy a toujours prétendu que l’Allemagne disposait d’un bouclier fiscal assurant aux contribuables de ne pas être imposés à plus de 50 %, comme celui instauré en 2007. C’était faux . Première salve à Bruxelles, le 20 mars 2009 :

« Ils [Les Allemands] ont le bouclier fiscal, ils l'ont depuis 25 ans, il n'y a pas une formation politique qui en demande la suppression, pas une. » 

Rebelote quelques jours plus tard, à Saint-Quentin (Aisne) : « Ne pas prendre par l'impôt direct plus de 50 % du revenu d'un ménage, c'est un principe de liberté, de liberté. C'est un principe qui est en Allemagne inscrit dans la Constitution – nos amis allemands, principaux concurrents, principaux partenaires, notre grand voisin. (…) Les Allemands y sont tellement attachés qu'ils l'ont inscrit dans la Constitution. » « Il ne viendrait naturellement à l'idée d'aucun membre de la CDU [le parti chrétien-démocrate de la chancelière Angela Merkel, ndlr] de revenir sur cet engagement, mais – plus intéressant – d'aucun socialiste allemand non plus. »

Le chef de l’Etat remet le couvert à Nîmes, le 5 mai. Et à nouveau, le 14 décembre 2009, lors d’une conférence de presse sur le grand emprunt :

« L'Allemagne a un bouclier fiscal et le bouclier fiscal est inscrit dans la Constitution. »

Dès mars 2009, Mediapart explique pourtant que l’Allemagne n’a jamais eu de bouclier fiscal. En 1995, les juges constitutionnels de Karlsruhe avaient bien indiqué qu'un contribuable ne devait pas verser au total plus d'« environ la moitié » de ses revenus au fisc au nom du respect de la propriété privée. Mais la décision est restée sans effet dans le droit, et elle a été cassée en 2006.

D’autres médias embraient (Le Monde, Libération). Mais Nicolas Sarkozy persiste. Face à David Pujadas, le 12 juillet 2010, il se lance dans une démonstration passionnée : « Le bouclier fiscal existe en Allemagne depuis plus de 20 ans », dit-il. Passionnée, mais d'abord destinée à défendre sa politique – «moi je me suis dit : "je crois en l'Europe, la France est en concurrence avec l'Allemagne, je vais donc faire la même chose en qu'Allemagne en France". »

 

« Les socialistes allemands ont été au pouvoir huit ans dans les années 90, ils n’y ont pas touché », affirme le chef de l'Etat. De fait, ils n’ont pas pu y toucher... car il n’existait pas. D’ailleurs, les sociaux-démocrates allemands ont gouverné le pays de 1998 à 2005, et pas « huit ans dans les années 90 ».

Le 16 novembre 2010, lors d’un entretien avec Claire Chazal, David Pujadas et Michel Denisot, Nicolas Sarkozy commence à admettre la réalité.  Mais à moitié seulement ! D'après le chef de l'Etat, «l’Allemagne avait un bouclier fiscal» mais elle l’a« supprimé » « quand elle a supprimé son impôt sur la fortune ». Suppression attribuée, une fois de plus, aux « socialistes allemands ». Or l’impôt sur la fortune a été supprimé en Allemagne en 1997, sous le gouvernement du conservateur Helmut Kohl.

Rendue visible par les chèques du fisc à Liliane Bettencourt, la réalité du bouclier fiscal devient un boulet politique. Nicolas Sarkozy opère alors une jolie volte-face rhétorique : pour justifier sa politique – abandon du bouclier fiscal en 2011, mais allègement parallèle de l’impôt sur la fortune (ISF) –, il se met à insister sur cette absence d’ISF en Allemagne, en ressortant sa rengaine frelatée des « socialistes allemands » :

« Nous sommes le dernier pays d’Europe à avoir un impôt sur la fortune. Les socialistes allemands commes les socialistes espagnols l’avaient supprimé» (« Face à la crise », 27 octobre 2011).

L’impôt sur la fortune (qui consiste à imposer le patrimoine) est en effet une exception en Europe. Reste qu’en Allemagne, et Nicolas Sarkozy se garde bien de le dire, les hauts revenus sont plus taxés qu’en France : selon la Cour des comptes, la France a baissé son taux marginal supérieur d’impôt sur le revenu de 48 % à 40 % en 2006 – il a été relevé à 41 % lors de la réforme des retraites. En Allemagne, les hauts revenus sont taxés à plus de 47 %.

Depuis, des ministres ont reconnu que le bouclier fiscal allemand n’existe pas. Christine Lagarde a même utilisé l’argument pourjustifier l’urgence… de sa suppression en France, au nom de la nécessaire « convergence » fiscale avec l’Allemagne ! Le pays de« Mme Merkel » a vraiment bon dos.

Mais au contraire de ses ministres, Nicolas Sarkozy, lui, n’a jamais reconnu que le bouclier fiscal n’a jamais existé en Allemagne. « En supprimant l'impôt sur le patrimoine, les Allemands ont supprimé le bouclier fiscal »continuait-il à assener le 13 janvier 2011.

Deux mois plus tard, la Cour des comptes insistait : « De fait, n’a donc jamais été appliqué, en pratique, un quelconque principe de "bouclier fiscal" en Allemagne. »

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