Mediator: l'enquête qui sonnait l'alerte dès 1998 a été enterrée
Tout récemment encore, dans le courrier du 21 décembre dernier envoyé aux médecins par le laboratoire Servier, le Dr Daniel Molle n'hésite pas à écrire:
«Mediator est un antidiabétique». (Crédits photo : AFP PHOTO/FRED TANNEAU)
source et suite de l'article www.mediapart.fr
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« Le Mediator est resté en vente jusqu'en 2009, alors que ses risques étaient connus dès 1998 ! L'incompétence n'explique pas tout. Il faudra bien que l'on découvre quelle main invisible a escamoté pendant onze ans les informations qui justifiaient le retrait de ce produit dangereux. » Voilà ce que nous déclare Gérard Bapt, député socialiste de Haute-Garonne.
Cette déclaration de celui qui est à l'origine de la mission d'information parlementaire sur « le Mediator et la pharmacovigilance », ouverte le 14 décembre, soulève une question majeure. Comment le médicament des laboratoires Servier a-t-il pu rester sur le marché pendant onze ans, alors que les experts de la pharmacovigilance disposaient de données qui prouvaient que le produit présentait des risques ?
A travers plusieurs documents rassemblés par Gérard Bapt – et qu'il a bien voulu transmettre à Mediapart –, il apparaît qu'une enquête accablante pour le Mediator a été littéralement enterrée fin 1998.
Menée par le Centre régional de pharmacovigilance (CRPV) de Besançon, l'enquête de 1998 montrait que le Mediator entraînait des effets indésirables similaires à ceux de l'Isoméride et du Pondéral, deux produits coupe-faim du groupe Servier retirés du marché mondial en septembre 1997.
Les deux effets indésirables les plus nocifs sont l'hypertension artérielle pulmonaire, maladie des poumons gravissime, et la valvulopathie, atteinte des valves du cœur. Le lien entre ces deux pathologies et la fenfluramine, molécule active de l'Isoméride et du Pondéral, a été établi en 1996 et 1997 par deux études parues dans le New England Journal of Medicine.
Or la molécule active du Mediator, le benfluorex, est cousine de la fenfluramine. D'où l'inquiétude exprimée par les experts français, formulée lors d'une réunion du Comité technique de pharmacovigilance, le 30 mars 1998 : « La métabolisation du benfluorex dans l'organisme entraîne la formation de norfenfluramine, métabolite apparenté à la fenfluramine, elle-même impliquée dans l'apparition d'hypertensions pulmonaires graves. »
C'est précisément ce que confirme l'enquête du CRPV de Besançon, dont les données sont examinées par le Comité technique de pharmacovigilance le 10 septembre 1998. Le Comité technique relève que « les concentrations sanguines de Norfenfluramine sont identiques pour des doses équivalentes de Fenfluramine et de Benfluorex ».
Le Comité technique juge le fait « surprenant ». Il est surtout inquiétant : si les mêmes causes produisent les mêmes effets, la présence dans le sang du métabolite dangereux à la même concentration que celle libérée par la fenfluramine suggère très fortement que le Mediator doit causer les mêmes pathologies que l'Isoméride. De fait, l'enquête rapporte une série d'effets indésirables, parmi lesquels 11 cas d'hypertension pulmonaire, dont 6 sont classés comme « d'allure primitive » (autrement dit, la maladie semblerait avoir été provoquée par le traitement). Le Mediator ne peut cependant pas être rendu seul responsable de la pathologie, car dans les 11 cas, les patients (9 femmes et 2 hommes) ont reçu du Mediator en association avec d'autres anorexigènes, le plus souvent de l'Isoméride.