Livret A : le décret scélérat de Christine Lagarde
source et suite de l'article : http://www.mediapart.fr/
L'avenir du Livret A, le placement favori des Français, n'est pas encore tranché mais il s'annonce sous de sombres auspices : pour organiser son avenir à compter de la fin 2011, le ministère des finances vient en effet d'élaborer un projet de décret qui fait la part belle au lobby des banques privées, emmené par François Pérol, et qui fait peu de cas du logement social ou du financement des grandes infrastructures. Jusque dans la majorité, pourtant, et dans certains cercles du pouvoir, des voix s'élèvent pour que l'intérêt général soit mieux défendu face aux appétits privés, qui veulent faire main basse sur l'épargne populaire.
Pour comprendre les enjeux de la confrontation sourde mais violente qui va se mener dans les coulisses du pouvoir et des milieux d'affaires autour du Livret A, avant que François Fillon ne rende ses arbitrages et ne publie le décret dans les prochains mois sous sa forme définitive, il faut se souvenir du « big bang » qui s'est produit le 1er janvier 2009 (voir aussi notre articleLogement social: le décret de tous les dangers).
Avant cette date, l'Etat disposait d'un formidable levier, par le biais du Livret A qui est le produit d'épargne fétiche des Français (il y a 50 millions de livrets), pour assumer deux missions d'intérêt général : d'abord la rémunération de l'épargne populaire, grâce à ce produit d'épargne réglementé, c'est-à-dire profitant d'un taux de rémunération avantageux ; ensuite le financement du logement social, les sommes collectées par le Livret A étant centralisées par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), afin de financer les emprunts en faveur du logement social. A cette dernière mission, Nicolas Sarkozy en a adjoint une autre depuis 2008 : les fonds d'épargne centralisés à la Caisse des dépôts servent aussi à financer des grandes infrastructures ou encore le plan en faveur de l'Université.
Deux grands réseaux, les Caisses d'épargne et La Poste (sans compter le Crédit mutuel pour le Livret bleu), bénéficiaient donc d'un monopole de distribution du Livret A dans le cadre de ces missions d'intérêt général. Et la CDC était elle-même actionnaire des Caisses d'épargne, à hauteur de 35%. De la sorte, les deux missions d'intérêt général étaient donc indissolublement liées, tout comme l'étaient les groupes chargés de les assumer.
Mais progressivement, des coups de boutoirs ont été donnés contre ce système très emblématique du modèle d'économie sociale à la française afin qu'il soit, si l'on peut dire, privatisé. D'abord, premier coup de boutoir, les dirigeants des Caisses d'épargne ont violé en 2006 le pacte d'actionnaires qui les liait à la CDC, pour faire alliance avec les Banques populaires et créer avec elles la célèbre banque d'investissement Natixis, si gravement mise à mal lors de la crise financière. Dans cette entreprise, les dirigeants des Caisses d'épargne ont été fortement aidés par François Pérol, à l'époque associé gérant de la banque Rothschild et conseil pour ce projet des Banques populaires. En quelque sorte, tous les associés de l'aventure ont tourné le dos aux missions d'intérêt général et ont poussé leurs établissements respectifs vers les marchés anglo-saxons dans l'espoir de réaliser des gains mirobolants sur des placements hautement spéculatifs et hautement... risqués. On sait ce qu'il en est advenu : un sinistre financier historique (on retrouvera dans l'onglet «Prolonger» les très nombreux articles que nous avons consacrés à l'époque à cette affaire, ainsi que le rappel de la confrontation judiciaire qui a opposé Mediapart aux dirigeants des Caisses d'épargne, et que nous avons gagnée).
Puis, d'autres coups de boutoirs sont intervenus : lorgnant le formidable gâteau de l'épargne populaire qui lui échappe depuis des lustres, le lobby très puissant des banques a relancé une campagne pour que le Livret A soit banalisé, en clair pour que le monopole de distribution confié aux Caisses d'épargne et à La Poste soit remis en cause, et que toutes les banques privées puissent, elles aussi, distribuer ce produit. Histoire de capter la clientèle de quelque 50 millions de Français qui disposent d'un Livret A et de mettre la main sur un formidable pactole.