Les documents Takieddine. L'émissaire du clan Sarkozy en Libye rétribué secrètement par Total
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Il fallait payer un ticket d'entrée. Et c'est l'introducteur de Nicolas Sarkozy en Libye, l'intermédiaire du clan du président français auprès du dictateur Mouammar Kadhafi, qui l'a encaissé. Le groupe Total a versé, à l'automne 2009, 9,8 millions de dollars (6,9M€) à l'homme d'affaires Ziad Takieddine, avec l'appui de l'Elysée, selon de nombreux documents confidentiels réunis par Mediapart.
Le paiement de Total, réalisé dans le plus grand secret, et supervisé par le directeur général du groupe, Christophe de Margerie, s'est effectué en marge d'un contrat gazier conclu avec le régime libyen. La signature de cet accord par Total avait bénéficié, en août 2009, d'un coup de pouce de Claude Guéant, alors secrétaire général de la présidence de la République.
L'argent a été versé sur un compte bancaire de la North Global Oil & Gas Company Ltd, une société offshore gérée depuis Vaduz (Liechtenstein), et domiciliée dans les Iles vierges britanniques, dont le bénéficiaire économique est Ziad Takieddine.
Contacté par Mediapart, le groupe Total, qui avait promis jusqu'à 140 millions de dollars à North Global, a confirmé le versement de 9,8 millions de dollars. L'entreprise considère aujourd'hui l'argent comme«perdu» dans la mesure où le contrat n'est pas allé à son terme, selon des sources internes au groupe. Ce qui rend l'opération d'autant plus suspecte.
L'utilisation par l'actuel ministre de l'intérieur, Claude Guéant, des contacts et des circuits parallèles de Ziad Takieddine, principal suspect du juge Van Ruymbeke dans le volet financier de l'affaire Karachi – il est soupçonné d'avoir participé au financement occulte de la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995 –, avait donc manifestement de multiples arrière-plans financiers.
Comme nous l'avons révélé, l'homme d'affaires franco-libanais a déjà obtenu, entre décembre 2007 et octobre 2008, des commissions occultes sur un marché de matériel de guerre électronique livré à la Libye, grâce à l'appui du futur président de la République alors qu'il était ministre de l'intérieur, et celui de son directeur de cabinet, Claude Guéant.
Sur ce contrat, destiné à crypter les communications du régime et à contrer la surveillance des services secrets occidentaux, une commission occulte de 4,5 millions d'euros lui a été versée par I2e, une filiale du groupe Bull, sous le contrôle de son actuel PDG, Philippe Vannier.
Cette fois, c'est de gaz et de pétrole qu'il est question. Et c'est le patron du groupe Total, Christophe de Margerie, qui s'est trouvé personnellement à la manœuvre. Récemment renvoyé au tribunal correctionnel pour « complicité d'abus de biens sociaux » dans l'affaire Pétrole contre nourriture – les dotations de barils distribués par le régime irakien –, M. de Margerie a aussi été poursuivi en 2007 en sa qualité d'ancien dirigeant Moyen-Orient du groupe pour « corruption d'agent publics étrangers » après la découverte de paiements effectués par Total au profit du fils de l'ancien président iranien Akbar Hachemi Rafsandjani.
L'origine de l'affaire que dévoile aujourd'hui Mediapart prend racine dans la flambée des cours de l'or noir, qui a poussé la Libye, comme d'autres pays producteurs, à demander une renégociation de ses contrats avec le groupe Total.