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Publié par christian guittard
Selon le Canard enchaîné du 17 février, Nicolas Sarkozy aurait fini par se rendre à l'évidence. «Son» débat sur l'identité nationale lancé en novembre sur le thème de «la fierté française» (la lettre d'Eric Besson au moment du lancement officiel), vite devenu un débat sur l'immigration, puis sur l'islam, n'aura rien donné de bon: «Il faut reconnaître que ce débat est un fiasco, aurait dit le Président, il faut l'admettre et s'en remettre. C'est une marmite pourrie dans laquelle il faut cesser de faire la soupe.»
Tous les sondages donnent à peu près le même score: au moment du lancement, deux tiers des Français pensaient que le débat pouvait déboucher sur une clarification utile. La même proportion juge aujourd'hui qu'il n'y a rien de constructif à attendre de ce genre d'exercice.
En décembre 2009, le démographe et historien Emmanuel Todd donnait au journal Le Monde une retentissante interview dans laquelle il déclarait: «Le gouvernement, à l'approche d'une échéance électorale, propose, je dirais même impose, une thématique de la nation contre l'islam. Je suis révulsé comme citoyen. En tant qu'historien, j'observe comment cette thématique de l'identité nationale a été activée par en haut, comme un projet assez cynique.»
Le propos aurait pu paraître, somme toute, assez banal, si l'homme qui aida Jacques Chirac à accoucher de la fameuse «fracture
sociale» de 1995 n'osait une caractérisation politique qui fit alors l'effet d'une bombe: «L'Etat se
mettant à ce point au service du capital, c'est le fascisme. L'anti-intellectualisme, la haine du système d'enseignement, la chasse au nombre de profs, c'est aussi dans l'histoire du
fascisme. De même que la capacité à dire tout et son contraire, cette caractéristique du sarkozysme.» Les journalistes du Monde l'interrompent:
«La comparaison avec le fascisme, n'est-ce pas excessif?» Et notre intellectuel de répondre:«Il ne s'agit
pas du tout de dire que c'est la même chose. Il y a de grandes différences. Mais on est en train d'entrer dans un système social et politique nouveau, qui correspond à une dérive vers
la droite du système, dont certains traits rappellent la montée au pouvoir de l'extrême droite en Europe.»
Pourquoi retourner voir Emmanuel Todd et lui demander des comptes en quelque sorte? D'abord parce que, bien entendu, l'accusation est grave, disproportionnée même au regard des
apparences démocratiques et de la réalité de la situation sociale. On verra que le contempteur de «la pensée
unique», l'homme qui signa Après la
démocratie en 2008 et que nous avions longuement interrogé (voir la boîte Prolonger),
persiste et signe. Et l'on verra qu'il approfondit sa thèse.
Pour l'historien, le sarkozysme est un «produit du vide» qui est caractéristique de toutes les crises d'extrême droite.« Décomposition religieuse», une opposition sociale-démocrate «qui se vide de sa substance», fabrication d'un bouc émissaire, appel à la haine de l'autre et à la peur, tels seraient les ingrédients de cette politique.
Emmanuel Todd les a donc tous bien connus. Or il se trouve qu'avec l'arrivée de la crise et la décision de lancer le débat sur l'identité nationale, les thématiques de la Nation précisément, mais aussi, au plan économique, la tentation du protectionnisme, refont surface. Mediapart a déjà raconté la seconde vie de cette «autre politique». Il y avait donc là un autre intérêt à aller voir Emmanuel Todd.
Pour que le lecteur se fasse une idée du débat, nous livrons ici la réponse qu'Elisabeth Lévy, qui fut et reste la cheville ouvrière de ce courant de pensée, fit à Emmanuel Todd toujours dans Le Monde du 11 janvier. On visionnera dans la boîte Prolonger le plaidoyer d'Alain Finkielkraut en mai 2007.
Pour la bonne intelligibilité de cette seconde interview, convient-il de se souvenir que «l'affaire autrichienne» dont il est question renvoie à la victoire du parti d'extrême droite, le FPO de Haider, en octobre 1999, et l'entrée de certains de ses dirigeants dans un gouvernement «brun-bleu». Ce qui avait plongé dans la consternation en Europe.