Privatiser le logement social! Dans le contexte présent de grave crise sociale, le slogan apparaît si provocateur qu'on peine à imaginer qu'il soit d'actualité. Les chiffres sont là,
connus de tous: pas plus tard que le 1erfévrier,
la Fondation Abbé-Pierre a rappelé dans son 16e rapport
annuel que plus de 8 millions de personnes sont concernées par la crise du logement à des degrés divers, dont plus de 3,6 millions sont mal logées voire sans domicile (voir notre
article La Fondation
Abbé-Pierre dénonce une crise du logement « inédite et dramatique »). Alors, comment peut-on donc imaginer qu'une semblable idée visant à ébranler l'univers
des HLM puisse cheminer? Impensable!...
Et pourtant, si! Dans le secret des milieux d'affaires, le logement social attise de formidables appétits financiers. Et l'idée de changer radicalement les règles du jeu de cet
univers, pour le rentabiliser et le soumettre aux logiques du privé, progresse à vive allure.
Voici les indices que nous avons recueillis en ce sens et qui ne laissent aucun doute sur le séisme qui est en gestation. Ou, pour être précis, qui est déjà engagé...
1. Le brûlot d'André Yché
C'est un petit livre dont personne ne parle encore. Et pour cause – il n'est pas même encore en librairie. Ce ne sera chose faite que le 17 février,
selon le site
internet de l'éditeur. Et quand bien même pourrait-on déjà le consulter – Mediapart y est parvenu –, c'est un petit opuscule qui vous tombe des mains. Sous un titre à
rallonge
Logement,
habitat & cohésion sociale, au-delà de la crise, quelle société voulons-nous pour demain,truffé de citations de grands auteurs pour justifier de basses suggestions
mercantiles sur fond de spéculation foncière et immobilière, il mérite pourtant attention. Car son auteur, André Yché, est un personnage important dans l'univers du logement social.
Et un personnage qui a des relations. Jusqu'à l'Elysée.
Président de la Société nationale immobilière (SNI), une importante filiale de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), il détient en effet 300.000 logements, dont près de
200.000 HLM, ce qui fait de lui le plus gros opérateur français du secteur. Le plus puissant mais aussi le plus influent puisque, via la CDC, il est en quelque sorte l'un des plus
éminents porte-drapeaux des intérêts publics dans le secteur. Sa parole n'engage donc pas que lui; elle est censée aussi être porteuse de l'intérêt général dans ce secteur d'activité.
Quiconque veut savoir qui est André Yché peut d'ailleurs se référer
au site
Internet de la CDC, le bras armé financier de l'Etat.
Or – nous y voilà! –, celui qui est censé porter l'intérêt général dans le domaine du logement social a jugé urgent – sans que quiconque le rappelle à l'ordre, et on comprendra vite
pourquoi – de publier ce livre dont le seul souci est de défendre la logique... des intérêts privés! Ce mauvais petit livre fonctionne donc comme un révélateur: avec l'assentiment
tacite de l'Elysée, le patron de la plus puissante société immobilière publique propose ni plus ni moins que de... dynamiter le logement social.
Cela commence par une charge contre la « bureaucratie »
qui a, selon l'auteur, la détestable habitude de réduire les individus « à certaines
catégories: ayant droit du logement social, ayant droit à l'Aide personnalisée au logement, au PTZ (prêt à taux zéro)... et de
surcroît cette catégorisation a toutes les chances d'être définitive: un locataire d'HLM a vocation à occuper son logement durant toute sa vie », ce qui semble à André Yché
proprement insupportable. Des garanties pour les plus modestes? Furieusement archaïque!... André Yché, qui fut dans le passé directeur adjoint du cabinet d'Alain Richard, ministre de
la défense (PS) dans le gouvernement de Lionel Jospin, avant de devenir, comme tant d'autres, un sarkozyste décomplexé, appelle John Rawls à la rescousse pour tenter d'expliquer que
ces rigidités sont une abomination.
Pour le patron du principal pôle public de HLM, il y a donc une priorité: faire sauter ces rigidités. Et pour commencer, il faut engager une « profonde
révision du rôle des organismes de logement social (OLS) ».En résumé ces organismes doivent cesser d'assumer la mission sociale qui est la leur, et s'ouvrir à de nouveaux
métiers: « constructeurs,
vendeurs, syndics, gestionnaires de co-propriétés ». Et d'ajouter: « Ils doivent,
de fait, devenir de véritables opérateurs immobiliers globaux et acquérir progressivement toutes les compétences de gestionnaires de portefeuilles d'actifs immobiliers qu'impliquent
leurs nouvelles missions. »
« Gestionnaires
de portefeuilles d'actifs immobiliers » : la formule a au moins le mérite d'afficher sans trop de pudeur le but poursuivi. Pour dire les choses plus grossièrement:
contrairement à ce que l'on pourrait croire, il y a beaucoup de fric à se faire dans l'univers des HLM, suggère l'auteur aux milieux d'affaires... « En d'autres
termes, poursuit l'auteur, le métier
d'avenir, ce n'est pas celui de bailleur social, c'est celui d'opérateur immobilier global d'intérêt général.» Qu'en
termes pudiques ces choses-là sont dites...