Gouvernement Balladur: le dossier de la corruption par Mediapart
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FABRICE ARFI ET KARL LASKEIl y avait des faits de corruption au plus haut niveau de l'Etat et des versements d'argent à François Léotard. Cet argument figure en toutes lettres dans le dossier constitué, fin 1996, par les avocats de l'Etat français pour stopper les paiements de commissions dues à des sociétés offshore liées au marchand d'armes Ziad Takieddine, en marge de contrats d'armement du gouvernement Balladur avec l'Arabie saoudite.
Un document inédit obtenu par Mediapart évoque, pour la première fois, l'implication de François Léotard, ministre de la défense signataire de ces marchés, dans l'un des dossiers instruits par les juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, le volet financier de l'affaire Karachi. Selon un courrier rédigé par un avocat suisse lié à M. Takieddine (voir en bas de la page), l'Etat français prétendait ainsi disposer d'éléments susceptibles de mettre en cause directement l'ancien ministre de la défense. Nous publions par ailleurs plusieurs autres documents sur ces ventes d'armes.
Sa bonne fortune, M. Takieddine, devenu ces dix dernières années l'un des hommes de l'ombre du clan Sarkozy, la doit, de fait, au gouvernement Balladur. Et tout particulièrement à ces marchés d'armement colossaux, dont il est devenu entre 1993 et 1995 l'intermédiaire obligé et qui lui promettaient des commissions hors normes : la vente des frégates militaires à l'Arabie saoudite (contrat Sawari 2) et des sous-marins Agosta au Pakistan.
Ci-dessous, le contrat Sawari 2 signé par François Léotard:
Le dossier des contrats secret défense que nous révélons aujourd'hui le prouve: le marché des frégates saoudiennes, dont toutes les dispositions financières ont été validées par le ministre du budget d'alors, Nicolas Sarkozy, prévoyait le paiement de l'équivalent de 213 millions d'euros de commissions à M. Takieddine et ses partenaires. Mieux, le gouvernement leur avait accordé 8% de commissions occultes sur l'ensemble des contrats signés avec l'Arabie. Du jamais vu.
Un an après l'accession de Jacques Chirac à l'Elysée, une guerre de l'ombre, comme il en existe peu dans les arrière-cuisines de la République, a opposé la Sofresa, un office d'Etat chargé de superviser les ventes d'armes avec l'Arabie, à Ziad Takieddine et ses associés, alors connus sous le nom de « réseau K ». L'ordre avait été donné par le président de la République de stopper tous les paiements en leur faveur en juillet 1996. Et ce jusqu'en mars 1997, quand un accord secret est finalement signé.
Tout en préparant un arbitrage international, les avocats des deux camps se sont affrontés durant plusieurs mois par courrier. C'est dans ces circonstances qu'un avocat de Genève, Me Hans-Ulrich Ming, représentant des sociétés-écran Rabor et Estar, liées à Ziad Takieddine, a reçu le 31 octobre 1996 la visite de deux avocats de la Sofresa (donc de l'Etat français), Mes Marc-Pierre Stehlin et Marie-Christine de Percin, venus justifier l'arrêt du paiement des commissions.
Le 5 novembre 1996, il adresse un compte rendu – avec la mention«personnelle et confidentielle» – de cette rencontre à Jacques Douffiagues, l'ancien patron de la Sofresa de 1993 à 1995. Ancien ministre, proche de Léotard et de Takieddine, Douffiagues aurait rencontré à de multiples reprises le gestionnaire de sociétés suisse.
Me Hans-Ulrich Ming se plaint que les avocats de Sofresa mettent directement en cause l'ancien ministre de la Défense, François Léotard. « Ils m'ont expliqué que le refus de Sofresa de continuer à honorer ces engagements tient au fait que "l'ordre public" français est en jeu, écrit Me Ming, l'une des sociétés sous mon contrôle versant des sommes importantes à une personnalité du monde politique français, savoir M. François Léotard, ancien ministre d'Etat et ministre de la défense. »