Crise: Dexia se meurt, Dexia est morte
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Lundi, la banque Dexia est morte. Les marchés boursiers ont dressé son acte de décès ce matin. Le cours de l'action de la banque franco-belge a chuté de 32% en début de séance pour tomber en dessous d'un euro. Autant dire rien ou presque. La veille, un conseil d'administration de la banque, aux termes de six heures de discussions, a confirmé les rumeurs qui circulaient depuis plusieurs jours et que Dexia démentait jusqu'alors avec la dernière force : la banque propose son démantèlement, une « liquidation ordonnée », en quelque sorte. Un comité social de groupe, qui s'est tenu ce mardi matin, a confirmé l'issue. Tout ce qu'il est possible de céder va l'être.
Le démontage de Dexia n'est que la suite logique d'une chronique d'une mort annoncée. Dès son sauvetage en 2008 par les Etats français, belge et luxembourgeois, la fin était connue : la banque était condamnée, victime des turpitudes de dirigeants qui n'ont jamais eu à rendre compte de leurs actes (voir nos enquêtes de 2008 sur cette faillite d'Etat). Malgré une recapitalisation de 6,5 milliards accordés sur les fonds publics, l'établissement franco-belge n'est plus, depuis cette époque, qu'une banque zombie. La nouvelle direction, co-détenue par le Belge Jean-Luc Dehaene et le Français Pierre Mariani, n'a eu, tout ce temps, que le rôle de syndic de faillite, chargé d'éteindre en douceur toutes les dérives du passé. Comme toutes les autres banques, comme les Etats européens, elle a cherché à s'acheter du temps. Les marchés boursiers, longtemps aveugles sur l'état de santé réelle de la banque, ne s'y sont pas trompés. Depuis 2008, l'action Dexia n'a jamais dépassé les 5 euros.
L'aggravation de la crise depuis quelques mois a eu raison de tous ces plans de repli raisonnés. Privée de l'accès au crédit interbancaire, de contreparties bancaires en dollars indispensables pour cette banque qui s'est développée au-delà du raisonnable aux Etats-Unis, sans avoir les moindres de sources de financement et de dépôts en face, sous la pression des agences de notation, Dexia est tombée, premier maillon faible d'une crise européenne qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Game over !
Pour éviter l'affolement, les Etats français et belge multiplient les communiqués rassurants. Ils assurent qu'ils apporteront toutes leurs garanties pour permettre à la banque de poursuivre son activité, d'honorer ses engagements auprès des clients et des autres contreparties bancaires. A ce stade, ils ne peuvent faire autre chose. Il leur faut en urgence rassurer, éviter une panique bancaire et une course des déposants pour récupérer leur argent : en Belgique comme en Turquie, Dexia est une banque de dépôts. Il faut aussi envoyer tous les signaux nécessaires au monde bancaire et financier, afin d'éviter la paralysie du système.
Car la faillite d'une banque, surtout en temps de crise, n'est pas un événement anodin. Par effet de domino, les interconnexions sont si nombreuses et si opaques que tout le système bancaire peut s'écrouler. Les banques le savent si bien qu'elles ne cessent d'agiter le spectre d'une crise systémique pour éviter une sanction de leurs fautes, ce qui les place dans une situation d'aléa moral, de chantage insoutenable à l'égard des Etats.
Déjà, certains commencent à agiter le spectre de Lehman Brothers, « le jour où la planète financière faillit sombrer », comme le diagnostiqua doctement l'inénarrable Jean-Marie Messier. Mais ce qui se passe aujourd'hui autour de Dexia s'apparente moins à la faillite de Lehman Brothers qu'à celle de la banque autrichienne, leKreditanstalt, en 1931. Pour les historiens, l'écroulement de l'établissement bancaire autrichien marque le tournant symbolique de la crise de 1929, le moment où celle-ci atteint l'Europe, dévastant les Etats, ruinant les économies et les monnaies, et conduisant à la faillite politique.