Besson va créer un «régime d'exception» pour les étrangers
31 Mars 2010 Par
Aller «le plus loin possible sur la voie d'une interdiction générale du voile intégral», selon l'expression de François Fillon devant les parlementaires UMP, et restreindre les droits des étrangers en situation irrégulière: voilà l'urgence pour le gouvernement, moins de dix jours après la débâcle de la majorité présidentielle aux élections régionales.
Alors que le conseil d'État a remis, mardi 30 mars, son rapport au premier ministre «sur les possibilités juridiques d'interdiction» du niqab en vue d'une modification législative, Éric Besson, le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, doit présenter, ce mercredi en conseil des ministres, un projet de loi sur l'immigration, l'intégration et la nationalité. Le texte définitif (pour y accéder, cliquez sur ce lien) reprend, dans ses grandes lignes, les mesures de l'avant-projet de loi détaillées ici et là.
Il modifie substantiellement le Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France, en allongeant la durée de la rétention administrative à 45 jours, en limitant l'accès aux droits des personnes en instance de reconduite à la frontière, en créant une interdiction de retour sur le territoire français et en instaurant des zones d'attente dématérialisées (voir l'entretien ci-dessous).
Mais il fait plus: il modifie le Code civil en interdisant la naturalisation à ceux et à celles qui ne justifieraient pas de leur «assimilation à la communuauté française» par «l'adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République». Ce critère est ainsi ajouté à celui d'une«connaissance suffisante de la langue française». Pour garantir son«assimilation à la communauté française», toute personne désireuse de devenir française devra, en outre, signer, à l'issue d'un entretien avec un agent de l'État, une «charte des droits et devoirs du citoyen français». Dans le collimateur notamment: les femmes portant le voile intégral.
Même logique lors du renouvellement de la carte de séjour, puisque«l'autorité administrative (tiendra) compte du non-respect, manifesté par une volonté caractérisée, par l'étranger, des stipulations du contrat d'accueil et d'intégration, s'agissant notamment du respect des valeurs fondamentales de la République (et) de son assiduité et du sérieux de sa participation aux formations civiques et linguistiques (...)».
Alors qu'une vingtaine d'associations et syndicats, parmi lesquels la Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), l'Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé), Migreurop, les Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE), le Syndicat des avocats de France (Saf) et le Syndicat de la magistrature (SM), préparent la contre-offensive, Stéphane Maugendre, le président du Gisti, répond à nos questions.
Quelle analyse faites-vous du projet de loi Besson, le cinquième en six ans?
Sous prétexte de mettre la législation française en conformité avec trois directives européennes («retour», «carte bleue» et «sanctions à l'encontre des employeurs»), ce texte instaure un régime d'exception pour les étrangers en situation irrégulière. Il va au-delà d'une simple régression des droits en créant de véritables zones de non-droit.
Le changement est radical car ce texte va éloigner, voire couper, les étrangers en situation irrégulière de leurs droits, de leurs avocats et des juges, notamment les juges des libertés et de la détention (JLD). Tout à son objectif d'expulser de plus en plus d'étrangers, Éric Besson fait l'analyse suivante: selon lui, trop de procédures de reconduite à la frontière échouent. Toujours selon lui, les juges sont responsables de cette situation. Le ministre cherche donc à les “désactiver” le plus possible.
Le texte réforme la définition et la procédure de placement en zones d'attente, ces lieux où sont placés les étrangers arrivant sur le territoire sans être autorisés à y entrer ou demandant l'asile. Qu'est-ce qui va changer concrètement?
Le texte autorise l'administration à décréter «zone d'attente» n'importe quel lieu en France, alors que, jusqu'à présent, ces zones étaient délimitées par la loi et par décret à des lieux spécifiques, à proximité ou dans les aéroports, les gares et les ports internationaux. L'accès aux droits des personnes ainsi privées de liberté en sera inévitablement retardé. En effet, on ne trouve pas des avocats et des associations disséminés partout aux frontières.
Les personnes interpellées devront attendre plus longtemps avant de pouvoir rencontrer des intervenants susceptibles de les aider à faire respecter leurs droits. Le texte se contente d'affirmer que la notification des droits («demander l'assistance d'un interprète et d'un médecin, communiquer avec un conseil ou toute personne de son choix et quitter à tout moment la zone d'attente pour toute destination située hors de France») sera faite «dans les meilleurs délais possibles», sans fixer de durée maximum.
Autrement dit, la police pourra agir comme bon lui semble, en l'absence de contrôle extérieur. On crée ainsi des zones de non-droit, où les débordements et les abus passeront inaperçus.