Banques: «Nous avons perdu trois ans et il y a des Dexia partout»
LUDOVIC LAMANT source et suite de l'article www.mediapart.fr
En attendant le deuxième acte, mercredi soir, d'un Conseil européen décisif pour l'avenir de l'euro,Shahin Vallée, chercheur associé pour le centre d'études Bruegel, à Bruxelles, et économiste à BNP Paribas, revient sur les avancées, fragiles, de la journée de dimanche. Il s'inquiète du manque de crédibilité d'Etats qui semblent avoir démissionné, dans leurs négociations face aux banques, et met en garde contre la crise de légitimité qui menace l'Europe.
Un «accord est proche» sur la recapitalisation des banques, ont affirmé les chefs d'Etat européens dimanche. Elles devront trouver plus de 100 milliards d'euros. Qu'en pensez-vous?
C'est la fourchette basse de ce à quoi nous nous attendions. Mais j'ai une inquiétude plus profonde sur le diagnostic. Le vrai problème des banques n'est pas tant leur exposition aux dettes souveraines. Ce n'est qu'un catalyseur. Ce n'est pas le risque majeur.
On l'a vu avec Dexia: si l'exposition aux dettes souveraines a accéléré les choses, Dexia est tombée à cause d'un bilan de 100 milliards d'euros de titres toxiques – des crédits immobiliers, des
produits structurés, etc. On connaît ce bilan pourri depuis 2007, et l'on n'a rien fait. Dexia avait, jusqu'au moment de sa faillite, un «ratio de Tier 1 capital» (l'un des taux censés
mesurer la solidité d'une banque en fonds propres - ndlr) supérieur à 10%.
Sauf que l'on présente Dexia comme un cas particulier de très mauvaise gestion.
Peut-être, mais il y a des Dexia partout en Europe, de tailles différentes – en Espagne, en Allemagne. Quelques Dexia ont d'ailleurs déjà implosé en Allemagne, comme Hypo Real Estate (en faillite en 2008 - ndlr). Le gros problème des banques européennes, c'est leur niveau d'endettement. Elles ont une base de fonds propres (leur matelas en cas de coup dur - ndlr) relativement faible, par rapport à leurs engagements. Les banques européennes, malgré ce que l'on pense souvent, financent bien plus l'économie réelle que les banques américaines. Aux Etats-Unis, le financement est très largement “des-intermédié” (l'entreprise se finance par exemple directement sur les marchés, plutôt qu'au guichet d'une banque - ndlr). Les solutions qui sont en train d'être mises en place ne tiennent pas compte de cette spécificité.
On se dirige vers un renforcement des fonds propres, avec un taux de référence qui pourrait être relevé à 9% dès la mi-2012. C'est une mesure de bon sens?
Forcer tout le monde à avoir 9% de ratio, cela fera que des banques seront sur-capitalisées, et d'autres sous-capitalisées. Cela réduira le capital disponible pour celles qui en ont vraiment besoin. On appelle cela des effets d'anti-sélection: les bonnes banques vont pouvoir lever du capital privé, et les mauvaises banques n'y parviendront pas. Elles seront obligées d'aller voir l'Etat, qui devra injecter davantage de capital que prévu. Je suis favorable à une approche plus chirurgicale. Un système financier est aussi solide que son maillon le plus faible. Ce sont les maillons faibles qu'il faut identifier et renforcer.