Le second Serment du Jeu de paume à Versailles
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Montesquieu au secours!
Le 22 juin 2009, commencera réellement le régime présidentialiste qu’auront voulu trois cinquièmes des parlementaires, en juillet dernier.
Ce jour là, le Premier ministre ne sera plus qu’une peau de chagrin dans le dispositif institutionnel français. Jusqu’alors, l’illusion d’optique l’emportait en distinguant un hyperprésident
dans un régime parlementaire et un chef de gouvernement «messager» du président dans un régime semi présidentiel.
Tout change donc au bout de deux ans exactement de période transitoire, de tests de l’opinion, d’approches successives de détermination sécuritaire et d’intimidation; le curseur a progressé sur une échelle de la gouvernance qui place, désormais, très nettement le président dans la zone du pouvoir personnel, voire demain autoritaire.
Sur la forme, le nouveau dispositif -sur lequel il n’est point besoin de porter désormais contestation- ressemble étrangement à une mise en scène déjà connue et
octroyée au Roi, en septembre 1791, après Varennes.
Sur le fond, il en va autrement, car la Constituante puis l’Assemblée législative disposait d’un réel pouvoir de législation puis de gouvernement et d’administration.
Le président actuel de l’Assemblée nationale a déjà évoqué ce moment «historique dans la vie parlementaire». Il y en a eu d’autres et pas toujours du meilleur effet dans l’histoire de la«séparation des fonctions», chère à Montesquieu et à tous les démocrates.
Un peu d’Histoire
Ce 22 juin, on aura fait un bon en arrière de 218 ans, lorsque la Constitution du 14 septembre 1791 (Titre III, chapitre 3, section 4, article 6) autorisait le
Roi à venir devant le Corps législatif et pénétrer au sein de la salle des séances pour y faire une communication. La Constitution de 1791, en effet, distinguait deux types d’intervention
royale: d’une part, les messages, considérés comme actes de «correspondance du Roi» et «contresignés par un ministre» dans le cadre des procédures
d’ajournement, de prolongation des sessions; d’autre part, la possibilité de se rendre devant le Corps législatif, «chaque année faire l’ouverture
de la session, et proposer les objets qu’il croit devoir être pris en considération pendant le cours de la session» et autoriser, s’il le veut,
à «faire la clôture de la session».
Mais pour bien signifier au Roi la séparation des pouvoirs, un article prévoyait qu’il était «reçu et reconduit par une
députation» avec cette précaution majeure que «dans aucun cas, le président ne pourra faire partie
d’une députation».
La rédaction de 1791 était claire. Celle de la Constitution de 1848 l’était un peu moins: elle obligeait le Président à présenter«chaque année, par un message à l’Assemblée nationale, l’exposé de l’état général des affaires de la République», sans préciser si
ce message était porté pour lecture ou lu par le président de la République, lui-même, devant les députés. Louis Napoléon Bonaparte n’usa pas de ce vide juridique et fit porter par quatre fois
un message aux députés entre 1848 et décembre 1851. La Constitution du 14 janvier 1852 reprit ce dispositif jusqu’au senatus consulte du 25 décembre 1852 qui abrogea l’article 11 de la
Constitution. Les messages et proclamations subsistent néanmoins et sont «apportés et lus en séance publique par les ministres ou les conseillers
d’Etat commis à cet effet» (article 58 du décret du 22 mars 1852 et article 71 du décret du 3 février 1861).
Tout ceci n’empêche pas le Prince-Président de venir «ouvrir», les sessions ou de se rendre devant le
Corps législatif; il le fit le 29 mars 1852, suite aux nouvelles élections et reviendra le 22 juin, pour y entendre Montalembert critiquer vivement la procédure du vote du budget et assister au
vote d’autorisation d’impression du discours de cet opposant qui réclamait tout simplement «un régime représentatif
sérieux»).
Qui accueillera Nicolas Sarkozy ?
Si nous ne sommes pas dans le scénario de 1791, ni dans celui de 1852, et encore moins dans le cas de figure des discours du Trône, de la Restauration et de la
monarchie de Juillet, et pas davantage dans la configuration de 1871 et 1873, nous inaugurons une page nouvelle du protocole et de la séparation des pouvoirs.
Les précautions convenues dans la Constitution de 1791 sont à prendre en considération si l’on veut respecter la force donnée au pouvoir délibérant et conserver un soupçon de séparation des
pouvoirs exécutif et législatif.
Que le Congrès de Versailles reçoive le président de la République pour l’écouter, assis ou debout, dans une version moderne et actualisée de la prédominance présidentielle dans la direction
des affaires publiques passe encore…mais que les formes y soient clairement définies, faute d’en avoir discuté ou évoqué la mise en place, lors de la discussion portant sur la révision de la
Constitution, en juillet dernier.
Derrière le protocole choisi, se dévoileront les arrières pensées sur la portée de l’article 20 de la Constitution -cet
article que l’Elysée souhaitait réformer.
En conservant des distances respectables dans l’accueil et la reconduite du président de la République, le pouvoir législatif confirmera qu’il y a encore un Gouvernement pour déterminer et
conduire la politique de la Nation, responsable devant lui et un Premier ministre qui en dirige l'action.
En rampant dans une solennité toute versaillaise, et se livrant à une pompe de soumission, le Parlement, par la représentation effective des présidents de ses assemblées, acceptera alors que
son pouvoir change de mains, que le discours-programme du chef de l’Etat devant la représentation nationale, se substitue, alors, à une déclaration de politique générale, que l’article 20 de la
Constitution est, dans les faits, modifié; il le serait par la force des choses si le premier ministre participait - comme il est vraisemblable - à un comité d’accueil qui signerait, dès lors
un véritable abandon de pouvoir au nouveau propriétaire.
Il ne restera plus qu’à relire le discours de Barnave sur l’inviolabilité, après Varennes, pour protéger le Roi, et considérer que le Parlement peut être faible
lorsqu’il est aveuglé par une conjonctivite aigüe et que les pleins pouvoirs ne s’obtiennent pas nécessairement par la forfaiture mais par la séduction.
Le Prince-Président l’avait compris le 29 mars 1852 lorsqu’il fit son entrée au son d’une salve de 101 coups de canon dans une salle des Tuileries où il réunit les députés et sénateurs pour
leurs signifier qui était réellement le maître des lieux, dans une République qui ne l’était déjà plus en droit.
Denys Pouillard
Directeur de l’observatoire de la vie politique et parlementaire