La descente aux enfers des cuisines Gilet, une PME comme les autres
01 fév 2009 Par
A Aurillac, pas grand monde a entendu parler de GMV, le nom actuel de la société. Mais tout le monde connaît les usines Gilet. Depuis des décennies, on fabriquait chez Gilet des cuisines réputées, dans le Cantal et au-delà. Le fondateur, Jean Gilet, était une figure de l'économie locale. Un petit charpentier d'Aurillac devenu patron d'une entreprise prospère.
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Crise sociale - une usine en crise
Vidéo envoyée par Mediapart
La descente aux enfers des cuisines Gilet, une PME comme les autres. Nouveau volet de notre série "Sur la route de la crise" débutée mi-janvier. Cette semaine, Mediapart s'est rendu à Aurillac (vidéo ci-dessous) où les cuisines Gilet, une institution dans le Cantal, sont menacées de disparaître. Notre dossier complet sur www.mediapart.fr
Le «père Gilet», comme l'appellent encore avec crainte ceux qui l'ont
connu, n'était pas un commode. Avec lui, et plus tard avec ses fils, personne n'a jamais moufté. Il n'y a jamais eu de délégué du personnel. Jamais de représentant syndical. Jamais, non plus, de
comité d'entreprise. «Il y a deux ans, nous avons créé un comité des fêtes pour organiser l'arbre de Noël et fêter les départs en
retraite», explique une employée. Bref, les cuisines Gilet, c'est une PME française typique. Très ancrée dans sa région, très importante pour l'emploi
local, de culture très paternaliste. Et aujourd'hui, menacée par la crise. Comme des milliers d'autres entreprisesqui, ces derniers mois, ont vu les banques leur couper les vivres sans crier gare.
Il y a deux ans, Gilet a été repris par un industriel, Guy Rousselin. Rousselin n'était pas du coin. Mais l'affaire l'avait intéressé. «Le secteur de la cuisine progresse en général mieux que le reste de l'économie», explique le patron. A l'époque, Rousselin est applaudi: il s'apprête alors à reprendre l'usine Gilet d'Aurillac et une autre société, Combettes, installée à 45 kilomètres d'Aurillac, au nord de l'Aveyron. Les salariés saluent son arrivée. Il est celui qui va faire grandir Gilet, l'adapter à la concurrence internationale.
Deux ans plus tard, c'est un champ de ruines. En octobre, Gilet, incapable de payer ses fournisseurs et de livrer ses clients, a été placé en redressement
judiciaire. Un sort que connaissent, avec la crise, des milliers d'entreprises depuis l'été.
Le 20 janvier, le tribunal de commerce d'Aurillac devait décider de l'avenir de l'entreprise. Ce jour-là, Mediapart s'est rendu à Aurillac. Nous voulions
raconter cette agonie, montrer comment la crise actuelle détruit de la valeur, supprime des emplois, déprime des territoires.
Nous avons d'abord rencontré les salariés. Nous avons trouvé des hommes et des femmes comme abasourdis, surpris par la rapidité et l'ampleur du désastre. A vrai dire, ils n'avaient jamais trop posé de questions. «Nous n'avions pas trop de moyens...», s'excuse l'un deux. Depuis quelques semaines, ils manifestent régulièrement dans les rues d'Aurillac. Pour beaucoup, c'est la toute première fois... Le responsable de la décrépitude de leur société? Pas de doute :«Rousselin», disent-ils. Dans la manif' que nous avons filmée, ils scandent à l'unisson «Rousselin en prison !»
Ce 20 janvier, quand Guy Rousselin se présente devant les grilles du tribunal de commerce, il est violemment pris à partie. Les salariés lui font
une «haie de déshonneur», comme ils disent, le sifflent, l'insultent : quelle que soit la décision
du tribunal, beaucoup d'entre eux ne retrouveront pas de travail. A Aurillac, les offres d'emploi ne se bousculent pas. «Surtout pas en ce
moment», dit une salariée.
Devant la caméra, Guy Rousselin se défend. Oui, reconnaît-il, il a peut-être cherché à développer l'entreprise trop vite, peut-être a-t-il brûlé quelques étapes. Mais il est formel : c'est la crise qui a provoqué les difficultés et envoyé GMV dans le précipice. «Une banque nous a lâchés, les autres banques ont refusé de combler le trou. Nos partenaires financiers n'ont pas suivi, ils nous ont abandonnés en rase campagne», témoigne Guy Rousselin.
Il est ému, encore sous le choc de ce qu'il a entendu en montant les marches du tribunal. Il dit qu'il a tout perdu, «les économies de toute une vie». Pendant des mois, il s'est fait du mouron en secret, a tout caché à sa famille pour ne pas les embêter. Maintenant, il espère pouvoir rebondir.
Ce tableau de la descente aux enfers d'une PME ne serait pas complet sans le troisième protagoniste, indispensable acteur du drame qui se noue : le repreneur. Pour les cuisines Gilet, le candidat à la reprise s'appelle Cauval. Cauval, c'est le numéro un français du meuble. Il détient les marques Simmons, Dunlopillo, Treca, etc.
Ironie du (mauvais) sort : à cause de la crise, le groupe Cauval est lui aussi très mal en point. En octobre, 17 sociétés du groupe ont étéplacées en procédure de sauvegarde. Les banques refusent, à lui aussi, de prêter de l'argent. Alors il aimerait bien racheter Gilet pour une bouchée de pain. Profiter des difficultés de l'entreprise pour s'emparer de son bien le plus précieux : ses marques, sésames indispensables pour s'attirer la confiance du consommateur. Même en temps de crise, le business reste le business.