Sarkozy critique la gratuité des journaux sur le Net
27 mai 2008Par Gérard
Desportes www.mediapart.fr (source )
Pour sa première intervention médiatique hors les murs de l’Elysée ce matin, on ne peut pas reprocher au président de la République de ne pas avoir soigné la mise en scène : en pleine nuit,
visite au marché de Rungis avec Carla à son bras (évitant prudemment le pavillon des poissons) et, dans la foulée, une heure d’interview sur RTL pour parler à «la France qui se lève tôt et
qui travaille, ou qui va à son travail en voiture». Ni d’avoir lésiné sur le nombre des sujets abordés, la hausse des prix, notamment de l’essence, les retraites, la réforme de l’Etat, il
a même été longuement question de la situation de la ligne A du RER (annonce d’un déblocage immédiat de 250 millions d’euros par l’Etat). L’hyperprésident était de retour.
Mais Nicolas Sarkozy a surpris son monde en consacrant une part importante de son intervention aux problèmes de la presse. Annonçant l’organisation d’Etats généraux pour cet automne, il a pris le contre-pied des critiques qu’il avait lui-même proférées ces dernières semaines à de multiples reprises à l'adresse des médias accusés de caricaturer son action pour se porter à leur chevet. Docteur Sarkozy avait préparé son coup. Il avait prévu d'aborder le sujet qui est survenu quasiment en fin d'émission par une question posée par Alain Duhamel.
Estimant qu’«il ne pouvait y avoir de démocratie sans presse » et que la situation de la presse écrite était « un grand problème », le président de la République a souhaité réunir les patrons, les directeurs des journaux, mais aussi des radios et de la télévision, afin de voir comment améliorer la situation. Pour l’écrit, il a notamment pointé les difficultés de la distribution (surtout dans les villes) et la sous-capitalisation du secteur, et il s’est lancé dans une critique aiguë de la gratuité des journaux sur le Net:
En quelque sorte, Nicolas Sarkozy approuve l’analyse de Mediapart, considérant que l’on ne peut pas donner sur la Toile ce que l’on vend sur le papier, ce que font massivement et depuis des années les sites des journaux adossés à des quotidiens (Libération, Le Monde…).
De plus, dans sa réponse, il est revenu sur la question centrale de la TVA, posée par Mediapart, qui demande à être traité à égalité, comme tous les autres journaux, indépendamment du support (papier ou numérique). Le Président n'a pas évoqué directement la TVA sur la presse, mais celle dont bénéficie certains produits culturels, à 5,5% au lieu de 19,6%, la presse étant la seule à bénéficier de la TVA "super-réduite" à 2,1%.
Le Président a raison de poser ce diagnostic d'une course folle à l'audience qui a certes permis à ces organes d'augmenter leur audience, mais qui a vu la vente du papier s'effondrer et la conquête de l'audience sur le Web conduire à des contenus dont la qualité laisse à désirer. Résultat: depuis le début de l'aventure en France, en 1995, les journaux ont vu leur compte d'exploitation plonger et de maigres revenus publicitaires agrémenter des sites qui, sans l'apport des rédactions du papier, ne seraient pas au rendez-vous rédactionnel.
En qualifiant de "pas saine" la situation, le Président ne fait que dire ce que nous disons ici. L'indépendance des titres est menacée, le contenu éditorial est chaque jour tiré vers le bas, entraînant à son tour un désintérêt chaque jour croissant du lecteur.
Reste que Nicolas Sarkozy n'a rien dit de concret. L'Etat va-t-il veiller à rendre équitables les situations fiscales des sites d'information? Va-t-il mettre sur un même pied l'aide apportée aux sites selon qu'ils sont adossés à la vieille presse (Libération, Le Monde, La Croix, L'Humanité...) ou selon qu'ils ont été créés spécifiquement (Rue 89, Bakchich...)?
Ce qui est sûr, c'est que ces problèmes intéressent à l'Elysée. Et pas que relativement aux problèmes financiers. Ces Etats généraux seront-ils aussi l'occasion d'une réflexion sur la déontologie en vigueur sur la toile et d'une modification des règles en cours (sur le droit de réponse, le droit de suite...)? Là aussi, mystère. A l'Elysée, on se contentait ce matin de nier toute intention cachée. "Le président voulait juste dire qu'il se préoccupe de ce qui se passe dans les médias et montrer qu'il ne veut pas se résigner à la crise", commentait un conseiller.
Par ailleurs, Nicolas Sarkozy a repoussé toute idée d’une augmentation de la redevance télévisuelle, comme cela a été proposé par Jean-François Copé dans le cadre de la commission chargée d’étudier les moyens de financement des chaînes publiques, maintenant que la publicité en sera bannie.