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Publié par christian guittard

09/01/2008
Paru sur le site Mediapart www.mediapart.fr/presse-en-debat/pouvoir-et-independance/09012008/audiovisuel-bilan-des-degats-apres-l-ouragan-presid 
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Pour ceux qui n'ont pas suivi l'annonce de la suppression de la publicité sur les chaînes publiques par le président de la République, rappelons le début de cette affaire. Mardi, lors de sa conférence de presse, dans la partie écrite de son discours, donc totalement maîtrisée, Nicolas Sarkozy annonce qu' « en 2008, la politique de civilisation s'exprimera dans la rénovation de l'audiovisuel public ».  Il propose alors à la stupéfaction générale la suppression totale de la publicité sur les chaînes publiques (plus de 800 millions d'euros de recettes en 2007) et son remplacement par une taxe « infinitésimale » sur le chiffre d'affaires des fournisseurs d'accès à Internet ou de la téléphonie mobile.
 
Cette annonce inopinée est faite dans un contexte déjà explosif. Les dossiers conflictuels s’accumulent entre les ministères de la culture, des affaires étrangères, Bercy et l'Elysée sur la réforme de l’audiovisuel public à destination de l’étranger et sur la refonte de l'audiovisuel hexagonal, ainsi que sur ses obligations à l'égard de la création. Le tout est gangrené par des luttes farouches entre différents acteurs, le conseiller du président, Georges Marc Benhamou, la ministre de la culture, Christine Albanel, et le patron de France Télévisions, Patrick de Carolis.

D’où l’effet du contre-pied présidentiel. Aussitôt, les chaînes privées, TF1 et M6 en tête, se frottent les mains. Les commentaires ne retiennent de l’annonce que son côté immédiatement spectaculaire. Le cours de bourse de ces deux sociétés s’envole dans les heures qui suivent, respectivement de 10% et de 4%. Mercredi, il n'en reste presque plus rien. Les pertes du jour sont venues grignoter les hausses d'hier. Le coup de pouce  a été de courte durée. 

Ceux qui avaient pointé l'amitié du président pour le patron de TF1 et l'approche de la présentation des résultats du groupe pour 2007 (le 21 février prochain) en sont pour leurs frais. L'action de la chaîne la plus populaire de l'Hexagone - qui a perdu 35% en six mois- ne se relèvera pas d'un coup de baguette magique, fût il présidentiel. En tout cas, pas sur le cours terme. Exit donc la polémique. 

Mais si l'on réfléchit plus loin, le transfert de la publicité vers la chaîne privée, vers les autres médias (le Web, la TNT notamment, où la première chaîne est présente indirectement) devrait mécaniquement améliorer sa situation. Dans une perspective plus longue, retour possible de la polémique. Parce  que la réforme de l'audiovisuel qui est dans les cartons du ministère, et qui devrait, par exemple, exonérer les diffuseurs de l'obligation d'investir 16% de leur chiffre d'affaires dans la production, favorisera en premier lieu TF1 et aura donc un effet direct sur son compte d'exploitation. A quelle fin ?

L'annonce s'inscrirait dans une stratégie plus large. Le grand rêve de Martin Bouygues est de croquer le champion français du nucléaire, le groupe public Areva. Il aimerait que son ami Nicolas Sarkozy  fasse ce choix, plutôt que d’envisager d’autres accords de coopération, par exemple avec l’allemand Siemens, comme le recommande la patronne d’Areva, Anne Lauvergeon.

Mais pour pouvoir décrocher Areva, Bouygues a besoin d’afficher la plus forte valorisation boursière possible. Pour être en position de force financière, il lui est absolument indispensable de remonter le cours actuel de TF1. Un transfert de la publicité télévisée et la réforme des règles actuelles en matière d'organisation de la production l’y aideraient.

L'autre grand point d'interrogation suscité par l’annonce présidentielle porte sur le futur financement des chaînes publiques soudain privées de la manne publicitaire. Les fournisseurs d'accès et les opérateurs téléphoniques sont furieux - parce qu'ils n'ont pas été prévenus- mais ils restent prudents. De combien sera la taxe ? Ils veulent bien payer, leurs chiffres d'affaires portent sur vingt milliards d’euros, mais personne n'est capable de dire ce que pèse le terme « infinitésimal ».

Christine Albanel, la ministre de tutelle, se multiplie pour assurer qu'il n'est pas question de « réduire le périmètre de la télévision publique ». Or, c’est bien de cela qu’il s’agit. Car les soupçons prospèrent : l'opération présidentielle n'aurait d'autre but que d'étouffer financièrement le service public pour mieux le privatiser. Sauf à taxer lourdement la nouvelle économie et face à l'impossibilité d'augmenter la redevance, le gouvernement ne pourra garantir l’équilibre budgétaire des deux grandes chaînes et en vendra une, France 2 ou France 3. Cette fois, deux autres amis du président entrent en lice. Arnaud Lagardère, qui lorgna un temps sur Canal+, et Vincent Bolloré, intéressé par TF1, pourraient se battre pour acheter France 2. 

Au passage, Nicolas Sarkozy a pu, avec cette annonce, court-circuiter un ministre, visiblement pas ou peu au courant, en l'occurrence Christine Albanel, et le président de France Télévision, Patrick de Carolis, publiquement désavoué (« On ne voit pas la différence entre le public et le privé », a dit le président). Bref, une annonce, un beau bazar, des acteurs dans le brouillard, des marchés boursiers perturbés, une opinion désemparée. Sur un sujet essentiel -les missions de service public-, le président a fait un coup. Le temps d’une conférence de presse.

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